J'ai la tête en compote.
Est-ce que j'ai abusé sur l'alcool hier?
Non, ce n'est pas tout à fait la gueule de bois.
J'ouvre mes yeux comateux. Je tente de me lever. Douleur atroce à la jambe.
Ah, oui, c'est vrai. La mémoire me revient.
Les tueurs. Le jus d'orange. Etais-ce bien d'orange? Peut-être de cassis. J'ai la mémoire qui flanche. Je me mets à chantonner en me levant.
Mais où suis-je? Ce n'était pas ma chambre. C'était une chambre d'enfant. Dans un coin, un cheval à bascule. Une cheminée, avec mes vêtements posés sur le rebord. Une petite fenêtre. Un bureau. Posé dessus, un petit album scolaire. Un lave-main. On est sous une mansarde.
Je m'aspergeai le visage d'eau froide pour me réveiller. Pfou! Quelle vie! Enfin, je n'étais pas à plaindre. Et de un, j'avais survécu. Et de deux, j'avais visiblement été accueilli et pansé par des gentilhommes. Cependant, quelque chose clochait. J'avais du mal à cerner quoi, mais je le sentais, au plus profond de mon instinct.
Je tâchai de balayer ce malaise de mon esprit. Je fis de sommaires ablutions, et entrepris de m'habiller.
Une fois propre et vêtu, je sortis de la chambre. C'est alors que je remarquai, gravé sur la porte de la chambre, l'inscription: "Souffrir c'est mourir".
Quel message curieux pour une chambre d'enfant.
Il y avait une échelle en marbre qui descendait au premier. Je l'empruntai. "Allô? Il y a quelqu'un?" (je pestai immédiatement contre mon appel phatique: allô? Ça ne veux rien dire! Est-ce que c'est comme ça qu'on demande à son hôte où il est?)
J'eus tôt fait le tour de cette maisonnette. Deux chambres, dont la mienne. Une large cuisine qui faisait office de salle à manger, avec une télévision collée contre le radiateur.
Le Monde posé sur la table. Atypique. Je m'assieds et commence à le lire en attendant les hôtes. Je ne vais tout de même pas partir comme un voleur.
Ils sont bientôt revenus, la soixantaine, voire plus, et les bras chargés d'emplettes fraîchement effectuées. En me découvrant dans leur salle à manger, leur visage se figea.
Je pris les devants: "Bonjour, madame. Bonjour, monsieur. Je tiens, en premier lieu, à vous remercier infiniment pour votre bonté. Je ne saurais vous être assez reconnaissant pour m'avoir recueilli et soigné sous votre toit. Oh, mon dieu, ce sac de courses semble bien lourd; laissez-moi vous aider à le poser sur la table." Je lui pris le sac.
Derechef, je sentis que quelque chose clochait. Je dévisageai mon hôte. Il me fit un sourire nerveux. "Trop aimable", fit-il. "Mais dis donc, qu'est-ce que tu fous chez moi?"
...
Le choc!
"Quoi, c'est pas vous qui m'avez amené ici?"
Et soudain, le flash. Ce matin, dans la chambre, ce qui m'avais mis la puce à l'oreille, c'était que je ne me réveillais pas à l'hôpital. Ç'aurait pourtant été le plus logique!
"Oh, je suis désolé. Vraiment. Je n'ai aucune idée de ce que je fais ici."
"Oh là bah dis donc!" lance le vieil homme, en louchant sur mon bandage. "Tu t'es sacrément détruit la jambe. Tu t'es fait ça comment?"
"Je courais dans un bois, et je me suis fait attrapé le pied par un piège à loup. J'ai alors fait un malaise vagal."
"Bon, je suppose que tu devrais aller à l'hôpital. Tes bandages semblent précaires. Tu peux manger ici, si tu veux. On va d'abord manger, et puis tu pourra aller voir les infirmières. En attendant, je te fais un petit café rapide."
"Marché conclu. Merci infiniment." J'esquissai un sourire pendant que mon hôte s'affairait autour du nespresso.
Dans quelle histoire farfelue je suis tombé?
"Cependant, je n'abuserai pas de votre gentillesse. Je vais préparer mon départ de ce pas."
Je remontai et rangeai la chambre, le café à la main. Je réunis tous mes effets personnels: il ne manquait rien. Comme tout ceci est étrange!
C'est alors que j'entendis la porte de la maison s'ouvrir avec fracas. Je sursautai si fort que j'en lachai la tasse.
"Police! Vous êtes bien Gérard et Annette Caplain?"