1. La faille

Canardage nourri. Zut alors. Et dire que ce matin encore, je mangeais innocemment mon toast au café avec une brique de jus d'orange.

Je suis dissimulé derrière un bidon d'essence. Je ne peux pas faire long feu ici, pour ainsi dire, hihi! (de quoi me surprendre: j'arrive à faire de l'humour jusqu'aux portes du trépas). Je compte jusqu'à cinq. A six, je rugis hors de ma cachette, et fonce à travers les buissons.

Quelques tirs dans ma direction.

Hourra! Je suis indemne.

...

Je suis fier de moi. Vous savez, je me suis toujours demandé comment je m'en sortirais si je me retrouvais au beau milieu d'une vraie crise, comme beaucoup de monde je présume. Eh bien, j'ai enfin eu l'occasion de vérifier que je peux m'en sortir, aujourd'hui même, oui monsieur!

Ce matin, j'étais encore un type banal. Je travaille dans la restauration. Je suis manager dans une entreprise qui propose aux étudiants des cafétéria à la hauteur de leur porte-monnaie. C'est un job qui me ravi; je m'occupe de tout l'aspect logistique, c'est passionnant. Nous sommes une entreprise récente, mais nous n'avons pas beaucoup de problème avec la justice. Un yaourt périmé, il y a deux mois de cela. Une jeune préparationnaire est tombée malade la veille de concours importants. Elle retape une année et, dans la foulée, nous colle un procès. Chose bizarre, le procès a été annulé en cours de route. La jeune fille est revenue sur sa décision. Je ne m'en plaindrais pas!

Bref, ce matin, je la croise justement alors que je me rendais vers mon bureau. Elle transporte une caisse de jus de fruit.

"Pardieu, vous ici!" fais-je, affable au possible.
"Ouaip". Laconique, la belle enfant.
"Que me vaut le plaisir... ?"
"Job d'été. On m'a proposé ça à un bon prix si j'oubliais la justice."
"Le regrettez-vous?"
"Pas encore, mais arrêtez de parler comme un type du Lutecia, ça vous va pas."
"Si fait."

J'allais la laisser partir, quand:

"Je vous emprunte une brique."

Je me servis, d'un air désinvolte.

"Au revoir, mademoiselle de la Marche!"

Et voilà. J'ai mangé mon toast matinal avec une brique de jus volée, et je me retrouve avec des tueurs aux fesses au retour de mon job. Le pied, quoi.

La raison pour laquelle ces hommes veulent ma mort est encore un mystère. Une brique volée semble peu de choses; je doute qu'il ne s'agisse de cela. Je pencherais plutôt pour un malentendu. Peut-être ai-je un sosie! Ce serait drôle! En attendant d'en savoir plus, je n'en mène pas bien large.

Je cours comme un dératé au milieu du bois de Boulogne. C'est un endroit chic, en plus. Je suis gâté. Dans ma course éperdue, je manque de foncer dans une prostituée. Je lui crie de dégager, et reprends mon élan. Soudain, j'entendis des coups de feu. Ils étaient de nouveau à mes trousses. Je courus de plus belle quand soudain, j'aperçu un panneau d'indications en bois. Cela me donna une idée. Je montai dessus, j'escaladai jusqu'au sommet, et de là, sautai vers l'arbre le plus proche. C'était quitte ou double, mais je suis fier de cette idée.

C'est alors que j'entendis la prostituée crier. Deux coups de feu, un corps inerte sur le sol. Ils avaient achevé la péripatéticienne de sang froid.

Le mien ne fit qu'un tour.

Et dire que j'avais fait preuve d'humour quelques secondes plus tôt.

C'est pas vrai. Quel foutu pétrin.

"Continue vers le nord, la fille l'a vu aller là."

Je les vis passer sous mon nez. Cette fois, j'étais vraiment mort de peur. Les résidus de mon aberrante euphorie s'étaient consumés; mon coeur s'était glacé pour de bon.

J'ai attendu des siècles dans mon arbre, gelé jusqu'à la moëlle. J'ai attendu, jusqu'à ce que je ne sente plus mes orteils. A ce signal, j'ai sauté au sol et me suis mis à courir n'importe comment, loin, le plus loin possible des tueurs mystérieux. Je n'ai même pas vu le grillage venir. Je suis rentré dedans, ni plus ni moins. Ma face en a pris un coup. En me portant la main au visage, j'ai su que je saignais du nez. Rien à faire. J'ai sauté par-dessus, et j'ai continué ma course désespérée.

Et soudain, c'est le drame. Un grand "Shlonkkk"! Une douleur titanesque dans le tibia droit. Je titube et tombe à terre.

C'est fini. Je suis cloué au sol, la jambe déchirée par un de ces pièges à loup qu'il y a dans les réserves de chasse. Et pour couronner le tout, j'entends les tueurs dans le lointain.
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1 commentaire:

  1. La suite sera publiée le 26 de ce mois... "L'effraction", ou comment se retrouver dans une situation vraiment embarrassante!

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