Après m'être calmé, je me rendis dans les toilettes des dames.
Julie Craques s'enfilait du coalgan dans la narine pour freiner l'hémorragie. Tout en s'affairant, elle pleurait doucement.
J'entrai calmement.
"Je te dois des excuses. J'ai pété un câble. Je suis désolé. Sincèrement."
Elle reste silencieuse. Les larmes coulent.
Je tente un pas dans sa direction. La béquille fait tinter le carrelage.
"Écoute, j'ai besoin de savoir..."
"Tu disais que moins tu en savais, mieux tu t'en trouvais!"
"C'est pas vrai! Je le crois pas, que tu me dises ça! C'était avant de savoir... Tu peux pas me laisser dans l'ignorance. Vas-y, vide ton sac!"
Elle geint de plus belle. Je l'approche. Son visage se tord de douleur. Enfin, elle n'en peut plus. Elle fuit.
Je tente de la rattraper, mais avec des béquilles, vous pensez!
Fin du déjeuner. Retour au boulot. Je m'effondre, épuisé, dans mon siège en cuir rembourré. Je reste prostré deux minutes, la tête dans les mains, avant de relever le front.
Une enveloppe trône sur mon sous-main. "Chacun ses excuses." C'est l'écriture de Julie. J'hésite pendant une fraction de seconde, puis la laisse de côté.
Où en étais-je déjà? Ah, oui. La cargaison de surgelés. Un stock de jus d'orange a disparu pendant le trajet.
...
"Camille, tu n'aurais pas vu Julie par hasard?"
"Non, elle est partie un peu plus tôt que prévue. Elle était en pleurs cette après-midi, tu sais ce qu'il s'est passé?"
"Aucune idée. Bonne soirée!"
Je rentrais chez moi, le regard bercé par les ultimes lueurs vespérales d'une dure journée. Le soleil s'éteignait. Ses derniers rayons, que tamisaient les arbres du bois de boulogne, teintaient le paysage d'une couleur rouge sang qui le dramatisait. Je ne pus m'empêcher de repasser dans ma tête les images traumatisantes de la course-poursuite qui s'était jouée ici, deux semaines auparavant.
Je soupirai. Le temps passera ces images à la javel.
Je sortis du bois de boulogne et me dirigeai vers mon chez-moi. Il était tard à présent.
J'étais devant le portillon. J'introduisis la clef dans la serrure.
Ce n'était pas la bonne clef. En fait, ce n'était pas le bon trousseau non plus.
Je ne réalisai seulement maintenant que je n'avais pas mis les pieds chez moi depuis un demi-mois.
Je plongeai la main dans la poche de mon large manteau.
Le bon trousseau. Le voici.
La clef en argent.
Dans la serrure.
Tourne.
Ouvre.
Un choc.
Le noir. Complet.
...
Je repris conscience... J'étais dans le coffre d'un camion. Il faisait noir comme dans un four. J'avais les pieds et les poings liés. Dans le dos, bien sûr.
Je fis rapidement passer mes bras par-dessus la tête. Mes épaules prirent un coup, mais mes os se décalèrent facilement. Je suis hyperlaxe; parfois ça peut avoir du bon!
Mes jambes étaient attachées au sol par un crochet. J'en profitai pour user mes liens aux poignets. C'était du vulgaire ruban adhésif de bricolage: il céda incontinent. En revanche, mes jambes étaient entravées par une chaîne en fer, cadenassée au crochet. Je ne risquais pas de filer en douce.
Le camion eut un cahot. La portière arrière se décala, libérant un mince filet de lumière. J'essayai d'obtenir un aperçu de l'extérieur, mais je n'avais de vue que sur la route.
Je me reposai par terre. A quoi tout ceci me menait? Comment fuir?
Pour une fois, je n'étais pas dans les pommes. Il faudra me faire penser à remercier mes agresseurs pour ça.
D'ailleurs, ça ne pouvait pas être les Caplain, cette fois! Ils ne pouvaient pas avoir fomenté cet enlèvement avec la police aux fesses!
Je repensai à Julie, et me rendis compte que j'avais toujours sa lettre.
"Chacun ses excuses."
Je l'ouvris fébrilement. Pourvu que j'y trouve toutes les réponses!