4. Le rêve



L'homme prit sa plume d'oie et la planta dans une tête humaine qui traînait sur son bureau. Il attendit que le sang remplisse le réservoir de cet instrument d'écriture sans prêter attention aux grimaces de douleurs de la tête, qui ne pouvait parler. Bientôt, il retira sa plume. Une goutte s'en échappa et s'écrasa contre la page verte et rugueuse d'un petit carnet posé sur son bureau. La goutte de sang disparut de la surface du papier.

Le vieillard prit son inspiration, puis écrivit sur sa feuille, et les mots s'empressaient de disparaître, à peine l'écrivain les avait-il tracés.

Loin, très loin de là, sur une feuille de papier verte semblable à celle du vieillard, des mots en encre de sang apparurent, sous les yeux d'une jeune enfant.

"Cours de radiesthésie numéro 2."

La fillette adopta un air ravi. Elle saisit son pendule pour suivre le cours.

"Vérifie d'abord qu'aucun esprit ne te surveille."

Elle s'étonna d'une demande si insolite. Elle se concentra, essayant de savoir s'il y avait quelqu'un. Cela prit plusieurs minutes. Soudain, la réponse s'imposa à son esprit. Elle descendit de son siège en sautant, trottina jusqu'à sa porte. Elle l'ouvrit tout doucement, presque vicieusement, puis subitement, la porte claqua.

Son frère était en effet derrière, mort de peur.

"Beuh... euh... Je peux t'emprunter un stylo? Le mien bave..."

La fille loucha suspicieusement vers son petit frère. Elle s'exécuta cependant, puis referma la porte. A clef.

Elle retourna à son pendule. Tout en le tripotant, elle inscrivit sur la feuille verdâtre, de sa plus belle plume:

"Mon frère se trouvait derrière la porte."

Le vieillard hoqueta. Il reposa sa plume, et saisit un pot contenant de la poudre brune. Il l'ouvrit, prit une pincée de poudre, qu'il versa délicatement sur son vert carnet. Il écrivit ensuite:

"Met ceci sur ta porte."

La fille fronça les sourcils en voyant apparaître la poudre. Elle ajusta le tas au milieu de la feuille. Elle l'emporta sur son feuillet vert, et la versa le long de sa porte. La poudre s'échappa dans les airs. La porte fut colmatée. Soudain, dans un terrible fracas, la porte s'élargit, brisant ainsi les murs alentours.

Des courants d'air. La poudre marron s'infiltrait partout. Le long des fissures des murs, dans les yeux, à travers les bronches. Hurlements étouffés. Âpreté de l'air. Horreur. Cris déchirants.

"Noooooooooooon!"

Des pleurs. Souffrance. Un bruit de bois qui se fissure. Une inscription apparaît.

"Souffrir c'est mourir".

Terreur.

...

Dans le noir, je me réveillai en criant. Bain de sueur. Je respire avec difficulté.

Une minute, puis deux. Je reprends mes esprits: ce n'était rien qu'un cauchemar. Je suis dans mon lit, enfermé dans la pénombre. J'ahane toujours.

Mes yeux s'accoutument à l'obscurité. Je suis dans une chambre d'hôpital. En sécurité.

3. La police

Trahison. J'étais cerné. Acculé jusqu'à la moelle.

Que faire? Fuir?

Comme un voleur?

Peut-être y avait-il une bonne raison à la présence de policiers dans cette maisonnée. Si ça se trouve, ils ne venaient pas à propos de moi.

Oh, par exemple: mes vieux hôtes avaient dû signaler l'effraction à la police... Il pouvait tout aussi bien s'agir d'un autre incident... Après tout, que peut-on me reprocher? M'être réveillé au mauvais endroit n'est aucunement condamnable!

Tâchant de me rasséréner, je décidai de descendre. De toute manière, mes bagages étaient faits, je n'avais plus rien à faire à l'étage.

A peine franchie la dernière marche de l'échelle qui me mène au rez-de-chaussée, la police se tourne vers moi.

"Le disparu! L'oiseau avait raison, dis!"

Et illico, sous mes yeux ébahis, les hommes en bleu menottent Gérard et Annette Caplain.

Des cris. Des suppliques. Des "j'ai rien fait!" et des exhortations. Un fourgon part sans attendre. Et je me retrouve tout seul dans la mystérieuse maisonnée, la porte grande ouverte.

Un agent de police vient. Il me fait face.

"Bonjour, monsieur. Si vous voulez bien m'accompagner..."

La tournure des événements me laisse coi. Je suis le policier jusqu'à sa voiture. Il m'emporte au poste le plus proche.

"Monsieur, vous avez été victime d'un kidnapping. M. et Mme Caplain vous ont séquestré et drogué pour une raison que nous ignorons encore au jour d'aujourd'hui."

Quand on est en état de choc, on ne réfléchit pas bien. On s'attarde sur des broutilles. Par exemple, à ce moment précis, je me suis dit: "au jour d'aujourd'hui, ça fait longtemps que je n'ai pas entendu cette expression. C'est un peu redondant et stupide, quand même."

"Monsieur, il faut que vous fassiez une déposition. Je vous laisse cette feuille et ce crayon. A tout de suite."
"Attendez... Vous êtes sûr de tout ça? Comment en êtes-vous sûr? Comment m'avez-vous trouvé?"
"Les Caplain ont fait une demande de rançon. Ils ont envoyé ça par la poste dans une enveloppe, qui contenait aussi une mèche de vos cheveux. Heureusement, on a rapidement identifié la provenance de la lettre. Un hurluberlu de votre entreprise a vu Mme Annette Caplain déposer cette enveloppe directement à son destinataire."
"Une demande de rançon?! Que vient faire mon entreprise là-dedans?"
"Monsieur, cette demande de rançon n'était pas adressée à votre famille, mais bel et bien à l'entreprise qui vous emploie. Nous travaillons à expliquer pourquoi."

Encore sous le choc, je construis ma déposition. J'hésite à parler des tueurs, mais je préfère être exhaustif.

...


Je me rends finalement à l'hôpital. File d'attente.

Soudain, je m'arrête net.

Sur le mur, il est indiqué: 3 Août.

Je vérifie sur ma montre: 3 Août.

Les Caplain m'ont drogué pendant deux semaines.