8. La prison



Le doigt pointé vers une cellule ouverte. Le garde encagoulé ne prononce pas le moindre mot, mais son geste ne manque pas d'éloquence.

Je rentre dans la cellule. La porte se referme lourdement derrière moi.

Un temps de silence.

"Allô?"

Ça vient d'un coin de la pièce, dans l'obscurité.

"Quoi? Ils ont kidnappé combien de personnes exactement?"
"Écoute, on n'a pas beaucoup de temps. Ce n'est pas la première fois que je me fais séquestrer par ces types. Cette chambre est une salle d'accueil."

Ça fait bizarre de voir les choses comme ça, mais admettons.

"Ils sont en train de préparer ton transfert. Le mien aussi, par la même occasion.  Tu as un téléphone sur toi?"
"Oui."
"Une faute que j'ai commise lors de mon premier passage ici, c'est de ne pas dissimuler la carte SIM de mon téléphone portable. Ils m'ont piqué mon portable et l'ont détruit. La seule issue, c'est de cacher cette carte dans ton slip."

Quoi?! Pas fou? C'est révulsant!

"Fais vite, tu auras une minute après qu'ils se seront occupé de moi."

Comme s'il avait senti venir les choses, il y eut un bruit de clef dans la serrure. La porte s'ouvrit en grand, et les faisceaux vifs et violents de puissantes torches électriques balayèrent la pièce. J'entendis des bruits de pas, un coup violent, un cri étouffé, une porte qui claque.

Ténèbre derechef.

J'attendis, l'ombre d'un instant, puis me précipitai. Le prisonnier avait raison. Je démontai mon portable dans le noir, et fis sauter la carte SIM. À tâtons, je tâchai de trouver où elle avait atterri. Je la glissai dans mon slip, puis reconstruisis mon téléphone tant bien que mal.

Après avoir de nouveau attendu un certain laps de temps, je me rendis compte qu'il fallait aussi cacher les confessions de Julie. Les informations qu'elles contenaient étaient bien trop cruciales. Alors, là encore, pfuit! Dans le slip!

Je ne pus m'empêcher de rire de cette situation insolite.

"De quoi tu ris?"

Ils venaient pour moi cette fois. Les torches se braquèrent toutes sur moi. Je ne bronchai pas.

Une silhouette s'avança et me mit un coup de genou dans l'estomac. La force du choc me fit tituber. Il me saisit vivement au bras, et me força à avancer. Devant mes yeux humides dansaient une pluie de faisceaux aggressifs et violents. Mes gardiens continuèrent à me trainer jusque dans une pièce étroite. Ils me ligotèrent à une chaise pliante.

Soudain, une lampe se braqua sur moi. Ébloui, je tâchai de détourner le regard, mais on me forçait à regarder la lumière bien en face.

Je sentis qu'on me fouillait. On récupéra mon téléphone. On s'empara de mon blouson, que l'on mit en pièces. J'aurais peut-être dû le glisser dans mon slip, lui aussi!

Une voix rauque surgit de nulle part.

"Sais-tu pourquoi tu es ici?"
"Non."

Coup de poing au visage. Souffrance. Ma mâchoire a pris un coup.

"Tu es ici parce que tu as pris quelque chose qui nous appartient. Est-ce que tu sais quoi?"
"Non."

Autre coup de poing. Dans le même sens, en plus. Encore une explosion de douleur dans mon crâne.

"On dirait que tu ne l'as plus. Où est-ce que tu as bien pu le poser?"
"Dites-moi ce que c'est, je pourrais vous aider!"

J'étais presque suppliant. Après tout, j'avais la bouche en sang.

Mais ça ne suffisait pas. La douleur fut aussi intense que les fois précédentes. Je n'arrivais pas à m'habituer. Je sentis un afflux de sang encombrer une narine.

"Il s'agit d'un carnet un peu spécial, dont les feuilles ont une couleur vert pomme."
"Ça ne me dit rien!"

Mon cerveau explosa. La souffrance était telle que je me mis à pleurer. J'essayai de me dégager, rien que pour oublier ma tête qui résonnait de douleur.

"Je vous jure que je veux vous aider! Pitié, aidez-moi!" pleurnichai-je, mes yeux ruisselants de larmes et de sang.

"Laissez-le mijoter."

...

Des médecins masqués me rasèrent le crâne et soignèrent mes blessures. L'alcool réveilla les souffrances dissimulées dans mes plaies. Je hurlai.

Il n'y avait personne pour m'entendre.

Le médecin avait fini. Il reposa ses instruments, et se tourna vers moi. Il sortit une matraque.

"Non, arrêtez..." suppliai-je.

Douleur.

...

"Comment tu t'appelles?"

Une voix de petite fille. Elle ne pleurnichait même pas. Depuis combien de temps était-elle enfermée?

Je me réveillai, non sans difficulté. Ce mal au crâne...

"Je m'appelle Émilie."

Je me frottai les yeux pour être sûr de ne pas rêver.

"Bonjour, Émilie. Qu'est-ce que tu fais là?"
"Il y a les vilains monsieurs qui veulent que je reste là."

L'enfant fit une moue triste.

"Et ils refusent que je voie ma maman."

J'étais dans une cellule éclairée à la bougie. Deux matelats posés à même le sol: le mien, et celui de la petite. Surpopulation carcérale au sein de cette mafia?

Je pris ma bougie et cherchai un miroir. Je ne fus pas déçu. J'avais le visage ravagé. Mieux valait ne pas montrer ça à la fillette.

"Je ne te veux aucun mal."
"Je sais", répondit-elle, brave et calme.
"Sais-tu quelle heure il est?"
"J'ai gardé ma montre. Les méchants ne me l'ont pas enlevée. Il est... euh... vingt-deux heures."
"Alors il est temps de dormir. Grosse journée demain!"
"Parle pour toi!" fit-elle, avec un sourire.

...

Boum. Boum. Boum. Boum.

Des chocs sourds contre le mur sur lequel j'étais replié. Qu'est-ce que c'était? Je collai mon oreille dessus pour mieux entendre.

Soudain, le bruit cessa. Je dressai l'oreille de plus belle, et entendis comme un froissement de papier.

Je mis longtemps à comprendre. Au pied du mur, mon matelas dissimulait un trou de souris mal colmaté. Je rouvris le trou, glissai ma main dedans et retirai... la manche d'une chemise!

La surprise manqua de me faire rire. Mon voisin de chambre était vraiment demeuré! Puis je remarquai les inscriptions écrites dessus, à la cire de bougie.

"J'ai dynamite pour ce mur. Demain 6h. Evasion pdt transfert."

7. Les aveux

"Je suis désolée de la manière dont les choses se sont passées entre nous. J'ai vraiment envie que l'on s'entende bien, alors... tu peux considérer cette lettre comme une confession éperdue. Pitié, ne m'en veux pas pour ce que j'ai fait!

Tu le sais, il y a trois ans environ, je me suis mariée à un ravissant jeune homme qui fait partie d'une riche famille, la dynastie des Craques. Nous nous sommes rencontrés au pied de Notre-Dame. Il a toujours habité à Paris, je venais ici pour visiter. Il a été remarquable. Il m'a fait visiter les tours. Il m'a payé le passage, puis le dîner dans un magnifique restaurant à proximité. La Tour d'Argent, je crois. J'ai pris une assiette exquise à base de canard, sur son conseil, et il a pris la même chose. Ce fut une soirée formidable. L'homme était aimable, intelligent, et très attentionné. Pour couronner le tout, il était plutôt mignon. Un mois plus tard, on se mariait.

Le jour de notre mariage, un homme est venu lui parler. Je ne sais pas ce qu'il lui a dit, mais ça l'a rendu visiblement nerveux. Le soir même, il a découché. Le lendemain, lorsque je lui ai demandé ce qui s'était passé, il m'a répondu qu'il s'agissait d'un business urgent. Étais-ce en lien avec l'homme que j'avais vu la veille? A peine ais-je posé la question que mon mari a tressailli. Puis il s'est lentement tourné vers moi avant de dire:
"Oublie cet homme. Il est mort."

Depuis, j'ai eu l'occasion de me rendre compte à quel point l'homme auquel j'avais accordé mon amour pouvait faire preuve de duplicité. Il était aussi mystérieux et dangereux qu'il avait paru affable et aimable auparavant. En vérité, c'était un homme colérique qui cachait bien son jeu. Je n'ai jamais su ce qu'il cherchait, bien que je lui ai souvent demandé, mais il avait bel et bien une préoccupation grandissante, il souhaitait obtenir quelque chose de quelqu'un, et était prêt à payer le prix fort. Il avait une puissante organisation derrière lui, mais en dépit des efforts de tous ses agents de l'ombre, il ne parvenait à rien. Cela le rendait fou.

Un beau jour, il (gribouillage). Il m'a frappée et violentée. J'ai divorcé sur-le-champ. J'ai quitté sa spacieuse demeure. Mais, lors de mon dernier voyage pour sortir mes affaires de chez lui, je l'ai surpris en train de parler à un individu de petite taille, avec de grosses lunettes rondes. Il avait en main un document, sur lequel était agrafé une photographie. On distinguait deux feuilles verdâtres. Je suis partie aussi vite que j'ai pu, mais de ce que j'ai pu comprendre, c'était lié à sa mystérieuse quête.

Je me suis ensuite installée chez mes parents. Ils habitaient à proximité de mon lieu de travail. Ils m'ont beaucoup soutenue pour mener à bien le divorce. Ils m'ont ensuite aidée à oublier mon malheureux mariage.

Petit à petit, j'ai réussi à oublier M. Craques. Et, petit à petit, je suis tombée amoureuse d'un autre type, au bureau. Il n'est toujours pas au courant. Je parfumais son bureau. Je le suivais le soir. Je suis même entrée par effraction, une nuit, chez lui, juste pour le voir dormir.

Un soir que je le suivais, je t'ai aperçu. Tu étais poursuivi par des individus masqués dans le bois. Tu courais, tu courais, et tu es rentré dans une prostituée. Elle s'est faite assassiner quelques secondes plus tard. Sous mes yeux. Ensuite, les tueurs se sont dispersés. J'ai couru vers la péripatétitienne, qui m'a indiquée où tu t'étais caché avant de rendre l'âme. Tu étais déjà sorti de ta cachette dans les arbres, cependant. J'ai essayé de suivre ta trace, quand je t'ai entendu hurler. J'ai couru éperdument vers toi. Quand je suis arrivée, tu étais inconscient. Je t'ai libéré et t'ai emmené chez moi. Je ne savais pas trop comment réagir, tu comprends? Étais-tu lié à une affaire malsaine, toi aussi? Comme mon premier mari? Pourquoi étais-tu poursuivi?

Le soir même, quand je suis rentrée du boulot, mes parents m'ont accueilli avec des têtes d'enterrement. Ils avaient commencé à te droguer. Ils m'ont expliqué qu'un homme était venu. Cet individu les avait menacé de mort s'ils ne suivaient pas à la lettre ses instructions. Ils devaient te garder prisonnier à tout prix. Il distribuait lui-même, chaque semaine, la drogue dont on avait besoin pour te maintenir endormi. La mort dans l'âme, j'ai été contrainte de les aider dans cette sinistre besogne.

Un jour, cet individu m'a demandé d'apporter une enveloppe contenant une mèche de tes cheveux à un homme qui viendrait me voir à mon bureau, sous le nom de Serge Tangoli. Cet homme est bel et bien venu, et je me suis rendue compte que je le reconnaissais. Il était de petite taille et portait de grosses lunettes rondes.

Quand j'ai compris que mon ancien mari était impliqué, j'ai couru au centre de police. J'ai affirmé savoir qui t'avais enlevé. Je n'en pouvais plus de toute cette affaire. Alors j'ai dénoncé mes parents. Aussitôt, je suis retournée chez moi, et je t'ai injecté de l'adrénaline. Ça devait te réveiller rapidement. Ensuite, comme si de rien n'était, je suis retournée au boulot. L'homme aux lunettes rondes était parti.

Oui, mes parents sont maintenant en garde à vue. Ils sont peut-être promis à la prison. Mais ce qui compte vraiment, c'est que celui que j'aime soit libre comme l'air.

Tu l'as sans doute déjà compris, mais, bien que tu sois aussi mystérieux que mon premier mari, bien que tu m'aies frappée aussi violemment que lui, je t'aime encore. Tu lui ressembles beaucoup. Mais je ne peux m'empêcher de t'aimer, et de te dire: désolé.

Je ne sais dire où toute cette histoire nous conduira, je ne sais toujours pas quelle est ton implication dans ces sortes de guerres secrètes, mais sois sûr d'une chose: j'ai confiance en toi.

Bonne chance."

Le camion s'est arrêté.