15. Le point

Il y a peu de choses plus troublantes au monde qu'une réunion entre un certain nombre de personnes qui viennent de s'échapper de prison.

Nous étions tous assis autour du lit sur lequel François se reposait de sa jambe meurtrie. Sur une table de chevet, on avait entreposé Feu Follet, un feuillet vert usé, griffonné, abîmé, déchiré en deux, et qui pourtant continuait de se froisser et de se défroisser par système.

"Cameron, à toi de commencer."
"Attends... J'ai plein de questions moi-même... Je vais commencer par les trucs les plus gros: en quoi Julie est-elle liée à cette histoire?"
Je le sonde attentivement. Ne sait-il vraiment pas? Il a l'air sincère.
"Peut-être que le nom de Julie va t'éclairer."
Air interrogateur de Camille. Une main sur l'épaule de Julie, je lance:
"Je te présente Julie Craques."
Il fait les yeux ronds.
"Elle a été mariée à M. Craques il y a quatre ans. De cette union, une fille. C'est elle qu'ils ont kidnappée. Ils cherchaient à faire pression sur sa famille pour les forcer à me droguer. Ils voulaient vraisemblablement m'empêcher d'interférer avec leurs histoires, quoique j'admet avoir du mal à comprendre ce mouvement. Il se trouve qu'elle était enfermée dans une cellule attenante à celle de Brian Cox, ton frère. Il avait réussi à conserver Feu Follet, et le gardait caché dans sa cellule."

Julie poursuit.
"Pendant ce temps, en fouillant dans ses affaires, Gérard Caplain, mon papa, est tombé sur Coquecigrue, l'autre prototype. Et il a écrit quelque chose dessus. De ce que j'ai compris, il y a des propriétés intrinsèques qui lient ces deux feuilles; en tout cas, les mots sont apparus sur Feu Follet, et Brian Cox a répondu avec les moyens du bord, à savoir de la cire de bougie. Au fur et à mesure qu'ils communiquaient ainsi, la situation se clarifiait. Très vite, ça a fait 'tilt'. La petite-fille de son correspondant se trouvait dans la cellule d'à côté. Alors il lui a donné le prototype. De cette façon, elle a pu communiquer avec son grand-père... jusqu'au jour où il s'est fait arrêter par la police."

Je prends le relai.
"Quelques jours plus tard, je me faisais emprisonner. Comprenant la situation, Brian Cox a planifié une évasion, à la faveur d'une supériorité numérique des prisonniers. Ce scientifique a déchiré Feu Follet en deux pour confectionner un explosif à partir d'une des moitiés. Bref, nous sommes sortis, et je ne l'ai plus revu... jusqu'à ce qu'il vienne me voir en me proposant cher pour que je retrouve les prototypes."
"On lui a déjà indiqué par email où nous retrouver pour qu'on lui passe Feu Follet," souffle Julie. "Il ne devrait pas tarder."

Cameron pâlit.

"Et de ton côté, quand ont-il compris que tu les trahissais?" fais-je à l'adresse de mon collègue.
"Eh bien... Je suppose que quelqu'un leur a dit que j'avais piqué Coquecigrue..."

"QUOI?!"

"... En aucun cas il ne fallait que ça tombe dans leurs mains! Or un jour, je vous ai vu parler, dans le bureau de Julie, avec un type qui travaille pour Craques. J'ai supposé qu'il avait trouvé sa proie, alors je suis entré chez Julie par effraction, et j'ai volé Coquecigrue sans hésiter. Je savais qu'il était chez Julie parce que Daphné me l'avait indiqué. Elle ne sait toujours pas que j'ai trahi Craques! Je suis son seul contact..."

Tout en parlant, Cameron sort un tissu vert de sa poche. Une feuille de papier. À demi déchirée, maculée d'encre à tous azimuts. Coquecigrue.

Il le pose avec Feu Follet.

Nous avons la paire! pensé-je avec excitation.

Cameron poursuit, toujours plus pâle:
"Vous ne vous êtes pas fait embrigadés par ce type, si? Il était déguisé en Brian Cox, mais je reconnaîtrais mon véritable frère entre mille!"

La sonnette de l'entrée se met à sonner.

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